Ce blog constitue un recueil de témoignages issus du forum de la Fédération Francophone des Sourds de Belgique

Le futur des sourds a-t-il un avenir ?

Cercle l'Abbé de l'Epée

Le futur des sourds a-t-il un avenir ?
17 novembre 2006



Rapport

Colloque organisé par
La Fédération Royale des Associations des Sourds de Bruxelles et des Faubourgs






Martine Fraiture

Bonsoir à tous et merci d'être venu si nombreux.

Deux représentants du monde politique ont annoncé leur venue : Madame Gisèle Mandaila, qui viendra peut-être encore ? Et Madame Joëlle Milquet, qui a dit qu'elle fera son possible pour être présente ce soir mais serait sans doute un peu en retard ; Nous leur avons réservé des places ici devant.

Je voudrais également remercier les trois conférenciers, Madame Yvette Thoua, Monsieur Nicolas Rettmann et le Docteur Benoît Drion, d'avoir accepté notre invitation à présenter ces conférences.

Le thème choisi pour célébrer ce cent-dixième anniversaire est "Le Futur des Sourds a-t-il un avenir ?"
Alors ? Qu'en est-il de l'avenir des Sourds ? Que peut-on en attendre ? Quelles sont les nouveautés en la matière ?
On parle beaucoup de l'implant cochléaire, aussi de l'éventuel écartement de la Langue des Signes. Ce serait-là une grave erreur ! Il est important que la Langue des Signes reste et perdure.
La reconnaissance de la Langue des Signes qui a eu lieu en 2003 a ouvert un large avenir mais malheureusement cet avenir est aujourd'hui assez sombre et il faudrait continuer le combat, et ce, de manière solidaire, afin de soutenir la Langue des Signes et de contribuer à son avenir.

La première conférence à laquelle nous allons assister est celle de Madame Yvette Thoua, psychanalyste, et qui va nous parler du "Difficile trajet des enfants sourds".
Je lui cède la parole.





Yvette Thoua

(En Langue des Signes) Bonsoir à tous, vous le savez peut-être, il y a de nombreuses années, j’ai commencé à essayer d’apprendre la Langue des Signes avec un excellent professeur...
Mais voilà, pour la conférence de ce soir, je suis bien trop émotionnée pour pouvoir m’exprimer en Langue des Signes. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Ce soir, ce sont les interprètes qui joueront ce rôle. Merci !
(Applaudissement)


Bonsoir,

Merci de m’avoir associée à la fête. Pendant une semaine, nous allons faire la fête à cet Entendant exceptionnel qui s’est mis à l’école des Sourds, pour ensuite instituer, à leur intention, un dispositif d’instruction publique, ce qui était nouveau à son époque.

Il a groupé des jeunes Sourds, après en avoir rencontré deux qui communiquaient par gestes, et s’être lui-même laissé d’abord enseigner par cette rencontre. Il a compris qu’une langue surgissait de la vie en relation à plusieurs, il a laissé la vie vivante du groupe parler dans son originalité, et il a fait école avec des jeunes Sourds à partir de leur propre savoir à eux.
Il est bien compréhensible que les Sourds honorent sa mémoire comme celle d’un héros, celle d’un Père qui les a conduits vers eux, vers qui ils sont : des sujets parlants inscrits dans l’ordre symbolique, et non des êtres dépourvus de langage, à qui il s’agirait d’en apprendre un, avec des méthodes.
(Il est arrivé qu’un logopède me dise d’un enfant intelligent remarquablement signant en classe bilingue : dommage qu’il n’ait pas de langage ! Les soignants en surdité confondent volontiers langage, parole et langue.)
Dans la démarche de l’abbé de l’Epée, il n’y a pas de technique. Il ne s’agit pas d’expertise. Il y a une rencontre, de la surprise, la reconnaissance d’un fait humain. Du respect pour l’autre, inconnu, qui dérange les savoirs familiers. Puis l’institution, au sein de la cité, de ce savoir insolite qui produit une langue gestuelle et agrandit le patrimoine culturel de l’humanité. Bien avant que des scientifiques nous autorisent à l’appeler « langue » !

Merci génial Abbé ! Nous avons, plus que jamais, besoin de ta lumière, qui est celle des aurores chargées de promesses. Car les temps sont rudes en 2006. Aujourd’hui, la clarté éblouissante d’une approche technique de l’humain rend aveugles ceux qui veulent maîtriser la vie hors relation. L’approche technique de l’humain aligne des chiffres, construit des graphiques, parle d’évaluation et d’objectivité, voire de science dans les cas les plus bêtes. Mais elle laisse oublier, cette approche, que l’humain dépend de ce qu’il ne sait pas, qui est à l’oeuvre en chacun et le relie à l’Autre, que depuis Freud on appelle inconscient. L’accueil et le traitemement des Sourds sont pris dans cette logique du déshumain (qui en concerne beaucoup d’autres en dehors de la surdité), où une violence considérable est faite à la vérité inconsciente du sujet.

Le sujet du désir est celui qui est assujetti (comme son nom l’indique) aux premières traces, inscrites dans le corps, de sa rencontre avec le monde, l’Autre. Traces qu’il cherchera toute sa vie à déchiffrer, bien qu’elles soient à jamais inconnaissables. Cette source infinie de mouvement intérieur vers l’inconnu en soi est celle qui pousse à grandir et à devenir. C’est elle qui nous fait désirants. Quand le rapport à l’étrange infini de soi est entravé, le mouvement peut ralentir jusqu’à s’arrêter. Nous cessons de désirer, de créer. Nous cessons d’aller vers les autres.

Pour un enfant sourd, les traces signifiantes de ses premières rencontres avec le monde ne s’inscrivent pas dans le sonore, parce qu’il n’a pas la plaisir d’ouïr, parce qu’il est sourd. La condition pour investir le langage sonore à l’origine est l’audibilité du perçu. Les premieres messages que l’enfant sourd reçoit de l’Autre s’impriment pour lui dans le registre visuo-gestuel. Son lien originaire à l’Autre s’institue des mimiques, des regards, des sourires, des caresses, des gestes qui lui ont été adressés et qui ont compté, parce qu’ils l’ont reconnu comme sujet parlant à venir. C’est la force d’attraction de cette première empreinte, à l’insu de tous, qui poussent les enfants sourds vers les langues gestuelles codifiées quand ils les rencontrent, comme chacun l’observe depuis toujours.

La volonté d’effacer ces traces le plus tôt possible dans la vie des enfants (l’implantation cochléaire est de plus en plus précoce) est inquiétante. Elle risque d’organiser des embûches sur le chemin du désir inconscient, celui qui soutient la vie humaine, et permet de retrouver le Nord quand on l’a perdu. En classes bilingues, il faut aider certains enfants à sortir d’une grande confusion. En dehors des classes bilingues, je crains une solitude inimaginable des enfants, dans un environnement qui veut leur bien et n’a aucune idée de la persécution intérieure avec laquelle ils doivent se débrouiller. Cela s’appelle « soin », c’est remboursé par la Sécurité Sociale, c’est le progrès.

Les enfants le doivent au lobby rééducateur qui informe nos ministres pour décider de leur sort : les Sourds seront dépistés au jour 1 en maternité, implantés le plus tôt possible, et rééduqués avant d’être éduqués. Les médecins ORL n’ont aucune relation avec les enfants sourds (encore moins avec les adultes dont ils préfèrent d’ailleurs ignorer l’existence). Ils ne savent rien de la vie des enfants sourds. Mais ce sont les interlocuteurs officiels des décideurs politiques, qui garantissent une gestion dite scientifique du dossier. Pauvre Science ! Que font-ils en ton nom sanctifié ? Le pire, comme chaque fois que des humains cessent de porter leurs actes en leur nom, ou qu’ils défaillent à soutenir une énonciation, jamais garantie.

Cher Abbé ! Viens-nous en aide avant que le mensonge ne triomphe. Donne-nous le courage de déjouer les pièges tendus par notre démocratie malade. Les Sourds sont politiquement abandonnés, méprisés, trompés.

La société, comme on dit, a choisi le sonore comme condition d’humanité véritable. Les enfants seront sonorisés. Ils vocaliseront. Circulez ! Le problème est réglé.

Au colloque sur l’implant cochléaire de l’APEDAF, j’avais choqué le brave public, qui ne veut pas ouvrir les yeux sur la barbarie incluse dans les bonnes intentions. J’avais évoqué le rêve de « solution finale » à la surdité. Les auditeurs bien-pensants se sont offusqués. Le monde psycho-médico-social s’est senti agressé dans sa bonne conscience... oui... La conscience est plus difficile. Se donner bonne conscience est confortable. Accéder à la conscience est éprouvant.

Mais quand un représentant politique, aujourd’hui, nous dit que la langue des signes ne sera bientôt plus nécessaire, que les ORL énoncent qu’en 2006 un enfant implanté tôt vivra comme un Entendant, ne sont-ils pas dans le fantasme d’avoir nettoyé la question ? En passant, que font-ils des Sourds vivant au présent ?

Quand plusieurs représentants politiques nous disent qu’il n’y a rien à attendre de la reconnaissance légale de la langue des signes, que dans le texte de loi, il n’a jamais été question d’arrêté d’exécution ou de décret d’application, et que les avis de la Commission Consultative de la Langue des Signes (qui fonctionne depuis deux ans et demi) ne sont pas du tout attendus comme sources de réformes, parce qu’il n’y a jamais eu d’intention de réforme, que faut-il penser ?

Le futur des Sourds a-t-il un avenir ? Bien sûr que oui ! Mais votre question m’a touchée. Car elle est venue à la rencontre de mon propre souci. Tout indique, en effet, à qui accepte d’ouvrir les yeux, que le futur des Sourds n’a pas d’avenir évident, en tant que Sourds. La société leur construit un avenir en tant que non-Sourds. Il faudra continuer à travailler pour construire un avenir qui tienne compte du réel enjeu. C’est-à-dire continuer à résister à la haine (inconsciente, bien sûr, les soignants dégoulinent de bonté), à l’hypocrisie (de ceux dont les actes démentent leurs paroles), à l’humiliation de voir la langue des signes confinée aux milieux associatifs.

Les enfants ont besoin de vous, les Sourds. Les parents aussi. Car ils sont embarqués dans un leurre. Vous me direz que c’était déjà comme ça auparavant, je suis d’accord. Je m’épuise à dire, d’ailleurs, que rien n’a progressé dans la pensée et que la logique mortifère promue est strictement inchangée. Mais la performance technique grandissante des prothèses modifie parfois (pas toujours) réellement le monde perceptif des enfants et induit un nouveau rapport au son. Il est dit qu’ils entendent. L’environnement familial se réjouit que l’enfant se retourne quand on l’appelle, qu’il reconnaisse les voix différentes de Papa et de Maman, qu’il répète des mots correctement, qu’il réagisse à la sonnerie du téléphone. C’est bien légitime. Il est dit qu’il développe son langage, qu’il a de l’intérêt pour l’oral.

A observer les jeunes enfants – porteurs d’implant, pour la plupart – dans les classes bilingues intégrées de Namur, où ils sont en présence d’une institutrice francophone et d’une institutrice signante (c’est-à-dire qu’il est possible de les aider à différencier le factice de l’authentique dans leurs relations), il est intéressant de voir comment ils découvrent, chacun de façon singulière, au fil des jours, ce que veut dire « entendre » et « parler » dans des relations humaines spontanées, ce que veut dire la présence et la participation en vérité à la vie d’un groupe, partager une langue commune.

Les performances audio-orales de certains en cabine d’audiologie ou dans la relation duelle avec un logopède ou un parent, sont, en classe, à plein-temps, de l’ordre de l’adaptation comportementale.
D’autres sont aux prises avec un magma sonore peu différencié duquel ils tentent d’extraire des phonèmes utiles, en concentrant leur attention sur le sonore, dérivant une énergie excessive, dès lors indisponible aux apprentissages, et ayant perdu l’aptitude de regarder, dans le conditionnement où la rééducation les a conduits. D’autres n’ont pas investi le son produit par l’implant dans la vie quotidienne.

Pour tous, la prise de parole progressive en langue des signes, avec l’enseignante ou les camarades, quand elle devient possible, laisse émerger l’insoucience et la gravité, la drôlerie et le sérieux, la capacité à s’opposer, à négocier, à plaider, la créativité et l’invention, propres à l’âge tendre. Un autre enfant apparaît, avec son mystère, génial, comme tous les enfants en relations justes. Les effets porteurs d’un groupe d’apprenants en interactions mutuelles deviennent innombrables. Intégrés pour de vrai aux classes entendantes, les enfants font l’expérience de l’égalité en droits et en devoirs avec les potes, semblables ou différents. Des amitiés se nouent entre Entendants et Sourds, la langue gestuelle se déploie petit-à-petit dans l’école, car elle attire certains enfants au point qu’un nouveau venu, parfois, se distingue par les enfants sourds des entendants dans la cour de récréation. A l’inverse, il est émouvant de voir comment les enfants sourds, spontanément, tentent de s’adresser en français sonore aux enseignantes non bilingues de l’école, dès qu’ils le peuvent, explorant eux-mêmes leurs propres progrès.

Ce qui fait le don de langue, que ce soit en langue des signes ou en français, n’est pas technique.

Les enfants ont leur histoire, avec leur lot d’épreuves, comme tous les enfants de la terre. Et pour eux, comme pour les autres, ce n’est pas la réalité matérielle des événements qui fait la vraie souffrance durable, mais l’impossibilité de mettre en paroles (vocales ou gestuelles) pour soi, ce qui arrive ou est arrivé. Tout peut être vécu par l’humain s’il n’est pas seul. Laisser des enfants sourds sans langue commune avec d’autres, pendant des années, en attendant leur sonorisation-vocalisation future est de l’ordre du crime. Les priver d’une langue naturellement accessible, pulsionnellement investie, qui existe, et pour laquelle les Sourds se battent, ne cessant d’implorer qu’on la leur donne pour ne pas reproduire le malheur qu’ils ont connu, relève de la passion de l’ignorance. Qui est responsable ?

Je viens de démissionner, après beaucoup d’hésitation, de la Commission Consultative de la Langue des Signes, parce que je refuse de continuer à cautionner la mascarade qu’elle représente. La parole des Sourds y est bafouée d’une façon indigne. S’il est une découverte qui m’a orientée et aidée il y a 22 ans, en tant que jeune parent, c’est la sollicitude des Sourds pour les enfants et les jeunes, en dehors de tout lien familial. Eux seuls m’ont donné la confiance qu’il y avait une place désirée pour de futurs adultes en tant que Sourds dans la société qui les accueille. C’est eux, c’est vous, qui m’avez convaincue du plaisir que vous aviez à les rencontrer, sans le projet constant de les réparer, mais dans l’impatience de les voir grandir et devenir désirants du désir qui change le monde. C’est toujours à la dure que naît ce désir, pour chacun de nous. A condition que quelqu’un l’aide à sortir de la paralysie hagarde où l’exclusion le plonge.


Merci
(Applaudissements)









Témoignage d’Arnaud Balard


Tout d’abord excusez-moi, je n’ai rien préparé, je vais donc improviser si vous le voulez bien ?
Donc comme vous l’a déjà dit Martine Fraiture : je m’appelle Arnaud Balard et voici mon signe...
Par rapport au thème abordé par Yvette Thoua, je suis né Sourd. A toulouse, en France.
Ma famille est originaire d’une petite ville, Rodez (Aveyron). Il n’y avait que des écoles ordinaires et elles proposaient une méthode exclusivement oraliste. Pas de langue des signes à l’époque. Mes parents n’avaient malheureusement pas trop le choix de l’école que je pourrais fréquenter.
En effet, je suis né en 1971 et, à ce moment là, la Langue des Signes n’avait pas encore la place et la reconnaissance qu’elle a aujourd’hui.
Mes parents avaient plutôt bien accepté ma surdité après le choc.
Je vais vous expliquer comment.
Je me souviens que ma mère avait rencontré un professeur de la surdité, très célèbre en France et qui avait dit, à l’époque, qu’un travail manuel suffirait ! Ma mère fut choquée par cette appréciation puisqu’elle estimait que j’avais les mêmes capacités que les autres enfants et elle a vécu ça comme une forme d’exclusion.
Mes parents se sont malgré tout battus. Non pas pour la Langue des Signes mais pour la qualité d’enseignement.
Ma mère était professeur de danse classique. Nous avons donc basé notre mode de communication sur l’expression orale accompagnée d’un certain nombre d’expressions faciales et corporelles. Il n’en a pas été de même pour mon père.
C’est ma mère qui m’a vraiment beaucoup encouragé.
Pour revenir au fil de l’histoire : j’ai été séparé de mes parents à l’âge de trois ans et jusqu’à sept ans, pour aller vivre chez une tante qui habitait Toulouse. Là j’ai eu une éducation oraliste.
Bien sûr, à l’école, les professeurs ont constaté que j’avais des facilités à acquérir le Français et ils ont donc suggérté que j’ingère l’enseignement ordinaire, et ce, dès sept ans et jusqu’à 18 ans.
J’y ai bénéficié de beaucoup d’aide. Il était notamment prévu que j’aie de l’aide d’une logopède mais ma mère a beaucoup insisté pour que l’aide porte essentiellement sur le visuel et le corporel et vers un apprentissage plus poussé des mathématiques, de la langue écrite que de la langue orale.
Je dois reconnaître avoir beaucoup profité du soutien de mes parents et j’ai eu la chance d’avoir un professeur paticulier (entre sept et onze ans)
Il s’agissait d’un apprentissage individualisé et en cela, je pense que c’est une exception dan le monde sourd.
Voilà pourquoi j’ai une très bonne compétence en français, sur le plan de la compréhension et de l’expression écrite. Par contre sur le plan de la la lecture labiale... ça laisse un peu à désirer.
On m’a souvent dit que j’avais une modulation de voix agréable. Mais pour la lecture labiale, c’est autre chose ! Cela m’a posé beaucoup de problèmes quand je fréquentais l’enseignement ordinaire !!
J’ai « raté » ma période d’adolescence dans ce qu’elle a d’insouciante et de ludique car je passais le plus clair de mon temps à travailler pour rattraper le retard accumulé par mon problème de surdité. Je n’ai pas eu le temps ou la possibilité de découvrir les flirts, l’amusement, etc., dont jouit normalement tout adolescent digne de ce nom ! Je regrette cela, surtout quand je vois que les jeunes sourds d’aujourd’hui peuvent s’épanouir grâce à la connaissance de la Langue des Signes et le bilinguisme. Cela me semble bien plus épanouissant que ce que j’ai vécu.
Les Entendants et même certains Sourds sortis des écoles de Sourds (sic !) me disent que je devrais me réjouir d’avoir fréquenté l’enseignement ordinaire pour la capacité que j’ai à pouvoir entrer en communication avec les Entendants. Là je leur suggère de se mettre un peu à ma place pour comprendre ce dont j’ai véritablement manqué pour mon épanouissement personnel. J’ai l’impression d’avoir été privé de mon adolescence (sept à dix huit ans) et bien que j’assume mon vécu, je regrette quand même d’avoir raté ça, en partie.
Après le collège avec les Entendants, j’ai fait part à ma mère de mon ras-le-bol d’un environnement exclusivement entendant, et que je souhaitais fréquenter un lycée avec des Sourds. Je ne sais pas si vous connaissez le baccalauréat (en abrégé BAC) ? Ma mère a trouvé un établissement à Paris qui prépare uniquement pour le BAC général. C’est le « Cours Morvan ». Une école où l’on intègre des Sourds avec une méthode essentiellement oraliste et cela m’a permis de rencontrer d’autres personnes sourdes. Cela dit, j’ai été complètement « retourné » de découvrir leur communauté et leur moyen de communication : la Langue des Signes.
Dans un premier temps, je ne comprenais rien évidemment et je me posais beaucoup de questions. J’ai compris qu’il me faudrait faire encore beaucoup d’efforts pour appréhender ce nouveau mode de communication et que, donc, une période plus heureuse mettrait du temps à se profiler !
Après l’acquilistion du BADC en 1992, je n’étais pas vraiment « fort » en LS, malgré les quatre ans avec les Sourds.
Heureusement, j’avais (et j’ai toujours !) des amis sourds qu ifont des efforts très patients pour que je les comprenne.
Puis, il y a sept ans, on a découvert que je souffrais du syndrome d’Usher. Cela m’a permis de faire le lien avec ma difficulté d’apprendre et de comprendre la Langue des Signes, puisqu’à cause de cette maladie, si une personne signe trop rapidement ou avec une trop grande amplitude, je n’arrive pas à percevoir les Signes.
Sachez, à ce propos que je proposerais une conférence sur cette maladie en octobre 2007 à la Maison des Sourds, et j’aurais l’occasion à ce moment là de pouvoir vous expliquer plus en détail ce qu’est le syndrome d’Usher et ce que vivent les Sourds « ushers ».


Merci beaucoup !
(Applaudissements)



Martine Fraiture :

Merci beaucoup Arnaud pour ce témoignage et merci aussi à Yvette Thoua pour sa conférence.
Au regard de l'heure qu'il est et du temps qu'il nous reste avant de faire la pause, je pense qu'il est préférable de passer à la conférence suivante.
Il s'agit de l'importance du sport dans la vie d'une personne sourde, présentée par Nicolas Rettmann qui est le secrétaire de la Ligue Sportive Francophone des Sourds (LSFS)






Nicolas Rettmann

Bonsoir à toutes et à tous. Bonsoir aux amis sourds et aux amis entendants.
Comme vous l’a dit Martine, je suis secrétaire de la Ligue Sportive Francophone des Sourds depuis quelques années déjà. Le Comité de la Maison des Sourds m’a invité à venir faire cette conférence devant vous et cela m’a fait plaisir.

Je vais donc aborder ce soir le thème de l’importance du sport et l’épanouissement qu’il procure.

J’aime et je pratique le sport depuis ma jeunesse... Je le regardais beaucoup à la télévision.

Lorsque j’ai intégré la communauté des Sourds, j’ai continué à pratiquer une activité sportive intense. Par la suite je suis devenu secrétaire.

Alors ? Pourquoi le thème du sport ? Vous savez tous, sans doute, que pour les Entendants, le sport est synonyme de bien-être.

Les contacts, les rencontres, l’interculturel, l’intégration, le mélange et les échanges que cela permet. Tout cela est valable chez les Entendants ; Mais pourquoi « l’importance du sport pour les Sourds ? » Ce thème m’a fait réfléchir. Comment l’aborder ? On parle beaucoup des résultats sportifs, des coupes, des prix, des compétitions mais ce n’est pas le plus important !

Il y a autre chose, il faut parler de la culture du sport, rechercher cet aspect là, faire le lien avec son histoire et voir quelle importance revêt le sport pour un Sourd.
Revenons à l’origine du sport. C’était au départ un loisir qui permettait, une fois le travail terminé, de se défendre.

Vers 1880-1890, cette discipline commence à prendre l’essor : le sport est né !
Les premiers sports sont l’aviron, le patinage, la boxe et le tennis.
C’est vrai qu’aujourd’hui la liste est longue mais à l’époque il y en avait peu.

Abordons, parallèlement à cela, le domaine scolaire.
Vous connaissez tous l’histoire du Congrès de Milan et ses conséquences ? Je ne vais pas revenir là-dessus. Voyons plutôt son rapport avec le sport.
A ce congrès donc, on décide d’interdire l’usage de la Langue des Signes au profit de l’oralisme. Alors qu’avant c’étaient des Sourds qui enseignaient aux Sourds, après le Congrès, les Entendants ont remplacés petit à petit les Sourds et ont, de ce fait, pris le pouvoir.

Pour ce qui était du sport à l’école, les Sourds participaient à des compétitions avec les Entendants, et suite à quelques incidents (bousculades, coudées...) il a été décrété que les Sourds étaient soi-disant trop dangereux, violents, pour continuer à participer aux compétitions et courses de vélo (où il y avait de nombreux accidents et blessures)

C’est ainsi que les Sourds se sont retirés, petit à petit, des organisations d’Entendants.
Avez-vous déjà vu les anciennes cartes postales où l’on représentait des sportifs (gymnastes...) En les observant, on est frappé par les différences entre le sport d’hier et d’aujourd’hui.

Celui d’hier faisait plutôt penser à une discipline militaire !

Toujours en rapport avec le Congrès de Milan, on voulait que les Sourds s’assimilent aux Entendants, dans le paraître en tout cas. Un exemple : avec cette photo de l’école de Woluwé, on y voit des athlètes disciplinés mais on ne ressent pas beaucoup de plaisir en les observant ! C’était très militaire, très stricte.

En voyant ces photos, je n’ai pas compris pourquoi les filles faisaient des altères ? Observez-les ! Pas une ne sourit, elles sont très sages, ont presque l’air punies ! C’était vraiment très militaire.
Quand on parle des premiers sports : gym, natation, en fait (je parle d’éléments historiques) on préconisait l’eau ou l’exercice pour soigner les maladies. Donc quand, à l’école, on proposait du sport c’était pour « soigner » les Sourds. Pas pour les vertus bienfaisantes, le bien-être mais plutôt par mécanisme curatif !

La natation permet le développement des capacités respiratoires, ce qui aiderait les Sourds à parler ! Et, peut-être aussi l’eau aiderait-elle à « nettoyer » les oreilles des Sourds !

Sur cette autre photo, que voit-on ? Une représentation (de Paris) de l’institut St-Jacques, institution créée par l’abbé de l’Epée. Il y avait donc une piscine à l’usage des Sourds. Remarquez le censeur et sa mine sévère, qui est là pour surveiller !
Remarquez sur cette image des répétiteurs d’élèves qui montrent des exercices de respiration... Y figurent aussi, le directeur et le gestionnaire de l’école...
Alors, en observant ce cliché, je vous le demande, où est le maître nageur ? Le plaisir ? L’épanouissement ? Il est totalement absent, oublié, nié !

Alors ? Que font les Sourds pour se regrouper, se retrouver ? Ils commencent à fonder des foyers. Les foyers se multiplient, on y fait beaucoup de sport, on crée des associations, des clubs.

Il y a cent ans, il y avait un club dans quatre grandes villes : Liège, Bruxelles, Anvers et Gand (ce sont les plus anciens). Maintenant il y en a à peu près dans chaque ville.

Les groupes et les associations collaborent, en 1922, on voit naître la Fédération Royale Sportive des Sourds de Belgique (FRSSB)

Parallèlement, de nombreuses fédérations se développent à l’Etranger, de nombreux échanges en découlent. C’est en 1924 que la fédération internationale (CISS : Comité International Sportif des Sourds) est fondée.

Sur cette photo, les personnages que l’on voit sont des Sourds : Emile Cornet (Fondateur de la Fédération belge et président du club de Liège) ainsi que Antoine Dresse, tous deux Belges. La troisième personne est un Sourd Français, Eugène Rubens-Alcais qui a fondé la fédération internationale en collaboration avec Antoine Dresse.
J’en profite pour rendre hommage aux deux fondateurs liégeois.

C’est en 1920 que le sport prend de plus en plus de place.

En ce qui concerne les loisirs, les associations étaient dynamiques et proposaient des compétitions, des fêtes, des conférences, des banquets (un peu comme aujourd’hui) et il y avait de nombreux échanges. Des artistes pouvaient aussi exposer leurs oeuvres lors de compétitions ce qui leur permettaient de se faire connaître tout en soutenant le sport.

Voyons, en parallèle, l’évolution de l’enseignement.
En 1920, les effets du Congrès de Milan se faisaient encore sentir. Et essayait d’évincer les Sourds au profit des Entendants et on promouvait l’oralisme.

Voici encore une photo, pour exemple des implications du Congrès de Milan, où l’on voit des exercices d’articulation – lecture labiale.
L’école où l’on préconise l’oralisme n’est pas un lieu d’épanouissement et de bien-être donc, où trouver, pour les Sourds, ces bienfaits ? Dans les sports évidemment !
Dans les rencontres sportives, plus d’interdits, d’oralisme, etc. Des rencontres où tous signent et se comprennent bien !

En 1924, on crée les jeux olympiques pour Sourds à Paris (ils existaient depuis 1894 pour les Entendants)

Et cela a continué jusqu’à aujourd’hui (l’hiver prochain à Salt Lake City aux USA et à Taipeï à Taïwan en 2009)

Donc, pour résumer, il y a d’abord eu les JO ordinaires (Entendants), puis ceux des Sourds (DeafOlympics) et ensuite, en 1960, ceux des handicapés.

Les JO à Bruxelles se passaient en 1953. Je suis sûr que certains dans la salle y étaient ? (plusieurs doigts se lèvent)

1970 : du côté sportif, toujours plus d’essor international et toujours plus de rencontres et d’échanges.
Et du côté scolaire ? Qui gère les écoles ? Ce sont les frères et le soeurs de la Charité (à Woluwé par ex.) qui enseignent à parler aux enfants sourds. Heureusement, eux, ne brimaient pas les Sourds en voulant les faire parler à tout prix et ils ont ainsi permis l’émergence de la Langue des Signes.

Evidemment, en les observant, ces personnes pensaient que les Sourds n’étaient pas faits pour l’Université et qu’il valait mieux les orienter vers les travaux manuels comme la couture ou l’imprimerie.
Heureusement, aujourd’hui il y a plus d’ouverture, les métiers de l’informatique se développent.

Pour l’enseignement, par les soeurs notamment, lorsqu’arrive leur pension, il n’y a personne pour rendre la relève et ce sont de nouveaux professeurs, ne connaissant pas la Langue des Signes qui arrivent.

Donc, pour résumer cette période : un grand développement du sport et de la Langue des Signes. Tout se passe mieux.

Du côté médical, les progrès n’ont pas été importants et nous en étions restés à des méthodes anciennes. Malheureusement, la médecine fait un retour en force.
Il y tout de même les appareils auditifs, pour lesquels on continue la recherche et les progrès.

1980 : en ce qui concerne le sport, tout se passe bien. Mais dans l’enseignement ? On parle, on ne signe pas !!!
Sur le plan médical, on fait des recherches, on essaye de soigner le Sourd, on voudrait qu’il devienne Entendant, qu’il fasse des progrès.
On regarde le Sourd comme un objet que l’on doit réparer.

Le malheur dans l’histoire, c’est que les Sourds se sentent bien dans le sport et s’y débrouillent bien, ce qui fait penser aux Entendants qu’il est préférable qu’ils restent « à part »
Quelles sont les conséquences de tout cela ?
L’enseignement oraliste diminue mais ça na pas donné le résultat souhaité.
Le niveau de l’enseignement baisse.
Lorsque les parents constatent que le niveau baisse, ils s’inquiètent pour le devenir de leur enfant et perçoivent l’intégration en milieu scolaire ordinaire comme LA solution !

Que peut-on remarquer depuis 10 ou 20 ans ? La priorité est mise sur l’économie, le rendement et on n’a plus le temps de s’occuper de l’enseignement des Sourds.

Quelques exemples dans les écoles, voici des photos montrant des enfants apprenant avec un casque sur la tête. Détails frappant, ils ont les bras croisés, un peu comme s’ils avaient les bras dans le dos.
Ils ne peuvent pas lever la main sous peine de punition.

Un autre exemple, voici le premier timbre poste représentant un Sourd, on y voit une personne qui fait signe avec ses oreilles qu’elle n’entend pas.
On demande à un Sourd d’entendre un papillon, je ne sais pas ce que vous en pensez mais personnellement je n’aime pas beaucoup.

Abordons à présent les Sourds et l’intégration.
Beaucoup de Sourds veulent, en plus d’un club pour Sourds, s’affilier aussi dans un club pour Entendants afin d’améliorer leurs performances.
On assiste même, de plus en plus, à des croisements entre des Sourds d’école de Sourds qui vont chez les Entendants et des Sourds intégrés qui vont chez les Sourds !
Ce qui leur permet des doubles affiliations.

On peut donc dire ceci : les Sourds font du sport pour le plaisir et pour communiquer en Langue des Signes.
Lorsqu’ils rencontrent des Entendants, la communication se fait-elle à un même niveau ? Comment cela se passe-t-il ? Ce qui est sûr c’est que la double affiliation permet de progresser.

On a beaucoup évoqué le sport comme activité, mais il faut aussi parler de la gestion de ces structures sportives.

Et pour l’aspect plus administratif, les Sourds prennent la gestion en charge comme président, secrétaire, commissaire et moniteurs de sports. Et entre les joueurs et les dirigeants la communication s’exerce donc souplement !
Et quand les jeunes observent ça, ils peuvent se projeter en tant qu’adulte sourd.

Lorsque l’on n’a plus les capacités physiques requises pour continuer à faire du sport, on peut très bien devenir dirigeant et rester ainsi actif. Il s’agit d’une transmission d’identité culturelle grâce au sport.

Que peut-on constater aujourd’hui en 2006 ?
Sur le plan médical, le commerce continue, il est de plus en plus puissant et jouit d’un soutien politique (subventions)

Sur le plan sportif, c’est toujours aussi agréable !

Sur le plan de l’enseignement, on parle de plus en plus d’intégration.
Les Sourds doivent être repris avec d’autres personnes handicapées. Bien sûr, les Entendants le constate, veulent dissoudre la Fédération des Sourds et intégrer les membres au sein de leurs fédérations pour handicapés.
A cause de l’intégration massive, les Entendants finissent par imaginer que les Sourds deviendront comme eux et entendront ! Cela met en péril l’identité des Sourds qui est niée.

Comme vous le savez, on parle de plus en plus d’implant, du dépistage précoce.

Pour ce qui est de la Fédération, elle existe depuis longtemps, côté belge et est scindée en parties francophone et néerlandophone depuis 1978 et n’est plus reconnue depuis 2001.
Les Sourds sont donc obligés de se regrouper avec d’autres personnes handicapées. Puisqu’ils ne communiquent pas de la même façon, ce sont les Sourds qui sont obligés de prendre des interprètes. Et de quoi discute-t-on dans ces réunions, de problèmes de mobilité et de choses qui concernent, finalement, assez peu les Sourds, qui sont d’un autre ordre. Ces réunions ont donc peu d’intérêt pour eux.

Il est indispensable que les Sourds administrent eux-mêmes leur fédération sportive.

Quand on fait un retour en arrière, au Congrès de Milan, c’est semblable, puisque les Sourds ne trouvent pas de reconnaissance au sein d’un groupe hétérogène, ils devront créer un lieu de rencontre pour eux !

Lorsque nous organisons des réunions avec des ministres, que nous constituons des dossiers, demandons des soutiens, nous ne sommes pas pris en considération et les demandes restent lettre morte.

Parlons, maintenant, de l’avenir si vous le voulez bien ?

Si l’on ne fait rien, comme l’a dit Yvette Thoua, en 2025, les Sourds vont disparaître !
Alors ? Comment sauver la Communauté sourde ?
Devrons-nous cloner les Sourds pour éviter leur disparition ?
Qu’en pensez-vous ? Peut-on, doit-on cloner les Sourds ?
Ce que l’on peut constater de positif, en tout cas, c’est que grâce au sport, la Langue des Signes est toujours là ! Elle ne disparaît pas et le lien entre les deux : sport et Langue des Signes est évident !

Je vous remercie pour votre attention et remercie encore le Comité de la Maison des Sourds de m’avoir invité !

Merci
(Applaudissements)









Martine Fraiture

Y a-t-il des quesions ?

José Gerday

Bonsoir à tous, Madame Yvette Thoua, que j’ai déjà rencontrée quelques fois, a dit ce soir des choses qui me dérangent et dont j’aimerais vous faire part.

Madame Thoua a une fille sourde qu’elle a beaucoup encouragée et cela me rend triste d’apprendre qu’elle a démissionné de la Commission Consultative de la Langue des Signes et je sais que plusieurs ont fait pareil et c’est vraiment dommage !

Elle a parlé des parents entendants qui ont un enfant sourd et qui oralise avec lui.
Je comprends cela ! C’est le rôle des parents entendants !
Peut-on envisager les choses sous un autre aspect ?
Moi je suis Sourd et j’ai trois enfants entendants et je peux vous dire que ce n’est pas simple tous les jours !

Je me suis demandé quand ils allaient me parler, comment je ferais, à qui je demanderais ?
Il m’a fallu de la patience et cette situation m’a fait beaucoup évoluer.

Et je pense que c’est la même chose, que ce soient des parents entendants qui ont un enfant sourd ou l’inverse. Tous ont des problèmes de communication et le même type de problèmes.

Pour ma part, je n’ai pas honte d’être Sourd et que mes enfants soient entendants ! Ils ont un mode de communication en Langue des Signes à la maison et étudient en Langue orale. Ils jouissent de deux cultures.

Bien sûr, il y a des Sourds qui développent l’oralisme avec leurs enfants et ça, je trouve que ça ne va pas ! Je trouve que ce choix est triste ! Je pense qu’il est très important pour des parents sourds de développer la Langue des Signes.

Précisément, à l’heure où les politiques font tout pour évincer la Langue des Signes alors qu’elle a été reconnue depuis trois ans, je me dis, je VOUS dis, à vous les Sourds, ne vous endormez pas ! Il faut tout faire pour défendre l’avenir des enfants sourds.

Moi, j’ai des enfants entendants mais je pense aux enfants sourds ! Oui il y a l’oralisme, l’intégration, mais où est la place des Sourds ?
De plus en plus de Sourds sont « intégrés ».

Du côté néerlandophone du pays les progrès sont nettement plus significatifs et les choses ont l’air d’aller bien par là. Il faudrait y réfléchir et peut-être prendre exemple ?
Voilà ce sur quoi je voulais attirer votre attention !
Merci !

(Applaudissements)




Martine Fraiture

Merci José pour ton intervention.

Tu as raison, on a pu constater cette problématique et notre crainte pour l’avenir des enfants sourds. C’est vrai que les parents qui apprennent la surdité de leur enfant n’ont, en général, que des avis médicaux comme références et cela conditionne beaucoup le devenir des enfants sourds.
Il est important que la solidarité des sourds aille dans un objectif commun qui est de donner une information complète aux parents dont la reconnaissance et l’importance de la Langue des Signes et non pas uniquement de l’implant cochléaire. Il faut nous battre pour qu’une loi oblige les équipes pluridisciplinaires d’y inclure des personnes sourdes.
L’enfant sourd implanté doit pouvoir aussi apprendre la Langue des Signes afin qu’il puisse, plus tard, faire lui-même le choix de vivre dans le monde entendant ou sourd, ou les deux.
Actuellement, nous constatons qu’il y a des personnes implantées qui ne se sentent pas bien dans le monde entendant mais qui ne savent s’intégrer dans le monde des sourds car elles ne connaissent pas la Langue des Signes. Elles sont donc plus malheureuses.



Rachid El Ouaghli

Bonsoir, excusez-moi d’intervenir, je ne sais pas si c’est d’accord pour tout le monde mais il faudra prendre sur vous !

Voilà une dizaine d’années que je connais Yvette Thoua et le Dr. Drion, et ce, pour avoir souvent travaillé avec eux sur différents projets.
Tout d’abord, je voudrais préciser que même si je n’ai pas le « look » des conférenciers, cela ne veut pas dire que mes propos ne seront pas à prendre au sérieux !

En assistant à la conférence d’Yvette, parce que je connais son style d’intervention, j’étais presque ému !!!
Par contre, en observant l’assemblée, je ne suis pas sûr que son message ait été compris par tous ! Encore une fois, on a laissé le soin à une personne entendante d’expliquer des informations destinées aux Sourds et ce n’est pas ainsi que l’on peut faire réagir le public !
On me connaît pour participer à beaucoup de conférences, forums, débats etc. Et je peux vous dire que les assemblées sont habituellement plus « réactives ». Ici, tous sont bien sages...

Laissez-moi vous expliquer ceci... Il y a cinq ans, en Espagne, suite aux craintes identitaires, on a organisé un forum où sont venus des Sourds de pays forts acrifs et avancés (Etats-Unis, Suède, Allemagne). Les conférences proposées étaient données par des Sourds. Et là, le message est passé, cela a provoqué des réactions et l’envie d’agir parmi le public...

Ici, alors que Martine Fraiture est le représentante de cette communauté et la présidente de la Fédération Francophone des Sourds de Belgique, qu’elle est sensée être le porte parole des Sourds, alors que, depuis deux ans, des choses qui pourraient conditionner notre avenir se passent et dont elle a connaissance, elle ne s’est jamais expirmée par rapport à cela. Aujourd’hui encore, alors qu’il est question de notre avenir, elle laisse le soin de nous informer à des Entendants !

C’est pareil pour les congrès proposés tous les quatre ans par la Fédération Mondiale des Sourds, Martine Fraiture ne s’y est jamais rendue ! Alors que c’est là qu’il faudrait être pour trouver l’impulsion des réactions...
Alors, je m’adresse à vous Martine, vous êtes mandatée pour jouer ce rôle, de grâce, à l’avenir, faites ce que l’on attend vraiment de vous !



Martine Fraiture

Malheureusement, il semblerait que je sois la seule personne à qui l’on demande d’agir sur tous les fronts à la fois ! Il n’est pas possible de gérer tous les plans d’action. J’en suis désolée !





                Pause







Martine Fraiture

Nous allons poursuivre avec la conférence du Dr. Benoît Drion, médecin à l’hôpital de Lille et qui, dans ce cadre là, reçoit des patients sourds.
Il est responsable du Pôle d’Accueil en Langue des Signes française (LSF) à Lille.
Il abordera donc, ce soi, les développements médicaux qui suscitent le débat aujourd’hui.






Benoît Drion


Bonsoir à tous.
Je voudrais commencer, aussi, en remerciant les organisateurs, Martine Fraiture et Pierre Dewit qui m’ont invité.
Quand j’ai été contacté, il y a déjà quelques mois, pour intervenir, on m’a parlé de cette question : « Le Futur des Sourds a-t-il un avenir ? » et en sous-entendu, la crainte exprimée de voir disparaître la Langue des Signes à cause de toutes les avancées dans le domaine médical.
Je vais donc tenter de répondre à cette question là !
Je tiens à vous avertir que ce dont je vais parler, ce soir, n’est pas très gai ! Mais, il faut écouter jusqu’à la fin car comme pour les films américains : ça se termine bien !

Je suis médecin, je travaille à l’hôpital à Lille où je suis responsable du Pôle d’Accueil en LSF et je suis aussi le coordinateur du réseau « Sourd & Santé » du Nord-Pas-de-Calais

En France, depuis quelques années, il y a 14 Pôles d’Accueil et de soins en LSF.
Tous ces Pôles ont comme point commun de travailler avec du personnel formé et évalué en LSF. Un médecin est responsable et il y a toujours des Sourds dans les équipes, qui ont des compétences variables.
Il y a des aides médico-psychologiques des aides-soignants, des éducateurs, des moniteurs-éducateurs, etc. Enfin, il y a bien sûr des interprètes diplômés.

A Lille, dans notre équipe, pour l’ensemble du réseau « Sourd & Santé » nous sommes 26 personnes. En 2002, on a créé le Pôle d’Accueil dans le cadre du GHICL (Groupe Hopsitalier de l’Intistitu Catholique de Lille), d’abord à St Philibert puis à St-Vincent.

En 2005, on a créé le réseau « Sourd & Santé », qui a pour vocation de permettre à des Sourds de consulter en LSF, partout dans le Nord-Pas-de-Calais, que ce soit en hôpital public, privé ou clinique. Le réseau fournit un interprète et un médiateur, c’est-à-dire un Sourd qui adapte le niveau linguistique du patient lorsque celui-ci ne comprend pas la Langue des Signes de l’interprète. Le tout est centralisé à l’hôpital. Il suffit donc au patient de faxer, d’envoyer un SMS ou un e-mail et on organise un rendez-vous avec un interprète.

En 2006, on a étendu l’action du réseau à l’ensemble du Nord-Pas-de-Calais (en 2005, seule la région lilloise était concernée) et il y a aujourd’hui des antennes à Arras, Dunkerque et Valenciennes.

On travaille aussi à un projet d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et à une unité des soins psychiatriques pour les Sourds.

Brève présentation de l’équipe du réseau :
Le président, Monsieur Patrick Dupont, qui est dans la salle ce soir. Il est aussi président du Foyer des Sourds de Lille.

Dans le réseau, il y a 10 professionnels sourds et 16 entendants : des psychologues, des animateurs (trices), des personnes responsables de l’accompagnement social et des aides à la communication, une personne responsable de la coordination pour l’éducation à la santé, 5 interprètes, 2 secrétaires, des Sourds qui s’occupent de l’accueil à l’hôpital, un expert linguistique et formateur en Langue des Signes Française (un second bientôt engagé) un médecin, un comptable (il faut gérer l’aspect financier aussi !!!) et un directeur.

Concernant l’activité du réseau depuis sa création en 2002 (jusque juin 2006), nous avons reçu 660 usagers.

En 2005, en santé somatique (c’est-à-dire pas en santé mentale) nous avons reçu 331 usagers, qui ont eu recours à plus de 2000 interprétations. En santé mentale (pychologie), 114 usagers et plus de 1000 interprétations.

En 2006, les chiffres ont véritablement explosés puisque pour le premier semestre, nous sommes déjà au double par rapport au total de l’année 2005.

Nous avons aussi maintenant un programme d’accompagnement social avec environ 2000 interventions en 6 mois. Voilà qui devrait vous donner une idée de l’activité des pôles.



Venons-en à mon parcours, qui suis-je et comment ai-je acquis l’expérience dont je vais vous perler ce soir.

Concernant la vision médicale de la surdité et l’implantation cochléraire, notamment, je suis passé d’abord par une intuition personnelle, forgée par la rencontre avec les Sourds, dans les années 80. Pour, petit à petit, en arriver à une certitude professionnelle, basée sur des constats faits dans le cadre de mon travail depuis les années 90, en Belgique et à partir de 2002, en France.

J’ai pris conscience d’un certain nombre de choses. Par exemple, avant, j’avais l’impression que l’on faisait n’importe quoi avec les Sourds et puis dans ma pratique professionnelle, j’ai constaté que c’était encore pire que ça !

Ce que j’avais pressenti s’est confirmé au centuple, malheureusement. Je suis donc passé d’une attitude militante, un peu intuitive, à un discours plus axés sur les faits, plus raisonné et plus objectif, par rapport à ce que je constate dans mon travail. Aujourd’hui, c’est le médecin qui prend la parole.



LA VISION MEDICALE

Avant tout, pour bien comprendre les choses, on peut avoir deux conceptions différentes de la surdité et chacune à sa logique et sa cohérence. Il s’agit juste de faire un choix politique et/ou idéologique d’aller vers l’une ou vers l’autre.
Il y a donc la vision médicale, qui voit la surdité comme une anomalie à éliminer et le Sourd comme un malade qu’il faut soigner. Une déficience qu’il faut surmonter et une différence qui doit disparaître. On en arrive par exemple à ce que des Sourds fassent de la musique, ce qui est présenté comme le summum de la réussite avec les Sourds !

Ou bien alors, une vision sociale, celle que défendent beaucoup de Sourds, qui disent : « nous sommes une minorité culturelle ». Une minorité qui enrichit la communauté humaine des Langues des Signes et qui a des compétences, propre à la surdité, à exploiter. Il s’agit, ici, d’une différence qui s’exprime et donc, plutôt que de faire de la musique, on peut faire des arts visuels, comme de la peinture par exemple.

On entend souvent dire qu’il est plus facile d’être Entendant que Sourd dans cette société et c’est vrai ! Est-ce une raison pour éliminer les Sourds ? Pour l’exemple, je dirais aussi qu’il est plus facile d’être blanc que d’être noir dans cette société et c’est vrai ! Est-ce une raison pour éliminer tous les noirs ?

La vision médicale dit que l’on peut agir sur l’individu pour l’adapter à la société. On va corriger la déficience, on va faire entendre la personne qui n’entend pas, on va faire entrer du son, on va le corriger, le faire devenir semblable à un Entendant. Pour un Sourd, on fait un implant, on peut imaginer, pour les nains, d’allonger les membres inférieurs ! (oui, la médecine peut faire ça !). En fait, on peut, soit adapter la hauteur du plan de travail de la cuisine, soit allonger les jambes ! Pour les Sourds, il en va de même, soit on se focalise sur la surdité et on leur met un implant, on les corrige, soit on « adapte » la société en proposant des interprètes. Pour les personnes en chaise roulante, on équipe les trottoirs de plans inclinés. Mais c’est une question de choix politique, idéologique. Les deux façons de penser sont cohérentes. Il suffit de savoir de quel côté on se situe. C’est d’un choix de société qu’il s’agit.

Evidemment, c’est un peu plus compliqué que ça. Les médecins (et la majorité de la société entendante, sont du côté de la vision médicale, simplement parce qu’ils ignorent qu’il existe une autre manière de voir, une vision plus sociale de la surdité. C’est aussi le cas des médecins travaillant dans le domaine de la surdité. Ils n’ont pas conscience, pour la plupart, de ce qu’est la surdité, de ce que c’est d’être Sourd !

On dit que 95% des enfants sourds sont nés de parents entendants, donc la langue de la famille, dans ces cas là, c’est la Langue Orale. On privilégie donc cette Langue Orale et, naturellement, on pousse l’enfant vers l’Oral.

Que répondre à ça ? Eh bien, que l’on passe 75% de sa vie en dehors du cercle familial (papa, maman, frères et soeurs). Que reste-t-il lorsqu’on a quitté le cocon familial ? Il reste le réseau social, relationnel où la Langue des Signes est majoritairement la langue utilisée puisque les Sourds ont besoin de cette langue pour entrer en communication avec leur communauté.

Voilà, encore une fois, les deux versions possibles et le choix de se situer d’un côté ou de l’autre. La médecine a, elle, clairement fait le sien.
Les Sourds sont-ils des malades ?
Je vais tenter de répondre à cette question là.
On a inventé le dépistage systématique noénatal en 2005. Je vais vous démontrer qu’il y a tout de même des questions éthiques qui se posent et que, pourtant, on ne se pose pas !




LE DEPISTAGE SYSTEMATIQUE NEONATAL


Pour rendre le dépistage admissible, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a édicté quelques règles.
Il y a donc une série de critères (10) dits de « Wilson & Jungner » qui sont à remplir pour justifier un dépistage néonatal, ce qui est le cas pour les autres maladies que l’on dépiste.

Passons ces critères en revue :

1° : « L’affection visée doit représenter un problème majeur de santé publique en terme de morbidité et de mortalité ».
Première remarque : les Sourds ne meurent pas plus jeune que les gens ordinaires. Donc le critère n’est pas rempli. Ensuite, si l’on voit la surdité comme une différence culturelle, le critère est tout à fait discutable...

4° : « Les résultats du traitement en terme d’espérance et de qualité de vie doivent être supérieurs à ceux obtenus à un stade plus avancé de la maladie ».
Aucun travail ne montre le changement de devenir d’un enfant dépisté au jour 1 ou 2 de vie. De plus, il n’existe pas de traitement de la surdité. La surdité n’entre donc pas dans ce registre.

5° : « Le teste effectué pour le dépistage doit être efficace en termes de sensibilité et de spécificité ».
Ce qui reviendrait à dire que tous les cas devraient être dépistés et qu’il ne devrait pas y avoir de faux positifs. Là encore, le critère n’est pas rempli puisqu’il s’agit d’un test tout à fait non spécifique dans le sens où sur 10 positifs déclarés, 9 sont invalidés.

Imaginez ce qui se passe dans les maternités... un certain pourcentage des parents à qui on annonce une éventuelle surdité sont des entendants et on leur dit qu’on fera des tests complémentaires dans quelques semaines pour confirmer ou infirmer la surdité de leur bébé ! Les premiers contacts des parents avec leur nouveau-né s’en trouvent fort altérés et provoque un stress psychologique qui n’apporte aucun bénéfice. Cela n’a jusqu’à présent jamais été évalué.

6° : « Le test de dépistage doit être nécessairement accepté par la population à dépister ».
Il s’agit donc ici des Sourds, or la plus grande majorité des Sourds que je rencontre dans mon travail sont opposés à ce dépistage. Pas tant à cause du dépistage même mais plutôt à cause de la logique de l’implantation qui suit. Le critère n’est pas rempli.
Dans ma pratique à l’hôpital de Lille, l’année dernière, un couple de Sourds qui venaient d’être parents a refusé qu’on fasse le test car ils ne voulaient pas. Ils voulaient découvrir par eux-mêmes dans les semaines qui suivaient si leur enfant était sourd ou entendant.
Un peu comme ces parents qui refusent qu’on leur donne le sexe de leur enfant avant la naissance, car ils préfèrent garder la surprise pour le jour de la naissance. C’était leur choix. Cela a beaucoup choqué le corps médical !

7° : « Les moyens adéquats pour le diagnostic et le traitement de la maladie doivent être accessible ».
Si c’est à l’implant que l’on pense, il ne s’agit pas d’un traitement !

8° : « Les effets secondaires, physiques ou psychiques, provoqués par le programme de dépistage doivent être inférieurs aux bénéfices attendus ».
Pourtant les effets psychologiques secondaires pour les couples à qui on annonce un dépistage positif (qui neuf fois sur dix se révèle faux) est traumatisant. Et personne n’a jusqu’à présent pensé aux enfants qui seront dépistés positifs à quelques jours de vie et aux parents desquels on dit qu’il faut attendre que leur enfant atteigne une dizaine de kilos pour que la médecine s’occupe de lui (implant cochléaire).

9° : « Le coût du diagnostic et du traitement des cas doivent être compensés par les bénéfices attendus ».
Voilà que, là encore, aucun travail ne prouve que le dépistage au jour 1 ou 2 a de l’influence sur le coût que va engendrer la prise en charge de la surdité par rapport a un dépistage fait un ou deux mois après !

Voilà donc sept critères sur dix qui ne sont pas respectés. C’est important !
La Ministre Fonck (Ministre de l’Enfance, Aide à la Jeunesse et Santé de la Communauté française) a considéré que ça n’avait pas beaucoup d’importance et que l’on pouvait, malgré tout, lancer le dépistage noénatal !

Il y a donc à ce jour cinq maladies (phénylcétonurie, hypothyroïdie congénitale, hyperplasie congénitale des surrénales, drépanocytose et la mucoviscidose) qui remplissent les critères et auxquelles on voudrait rajouter la surdité.

Pour moi, la surdité est d’un tout autre ordre et n’a rien à faire dans cette liste. C’est pourtant ce qui se passe en Belgique !

J’ai fait des recherches pour savoir ce qui poussait la Ministre dans cette voie-là et j’ai trouvé les textes parlementaires des ces débats-là. Voilà quelques extraits des propos de Madame Fonck. C’est tout à fait réel, vous pouvez trouver ces textes sur le site internet du Parlement de la Communauté Française :

14/02/2005 : « Le but est d’organiser l’ensemble de la filière de soins, du dépistage à la prise en charge optimale des enfants dépistés positifs, ce compris les enfants pris en charge dans un centre de revalidation, après implantation. »
Donc : on dépiste, on diagnostique, on implante et on rééduque ! C’est la filière de soins et tout ça va être contrôlé.

« Un système de relance existe dans tous les centres, dans les cas où les équipes des services de promotion de la santé dans les écoles ne reçoivent pas le retour des problèmes dépistés ».
Donc, si par hasard, un enfant dépisté positif ne suit pas la filière dans les délais jugés admissibles, il y aura un système de relance !

23/06/2005 : « Le système de dépistage précoce permet de maintenir l’enfant dans un système scolaire traditionnel, en évitant la création d’écoles spéciales, il lui permet un avenir d’intégration dans la société avec un développement intellectuel normal et une possibilité d’être socialement actif. Le budget de l’INAMI s’en trouverait allégé.
« Après en avoir longuement discuté avec des experts et des professionnels, notamment à un congrès à Tournai auquel participaient de nombreux experts étrangers, il faut opérer le dépistage aux premiers jours de vie, tout en prévoyant un filet de sécurité, pour les accouchements lors des Week-ends ou des jours fériés »


Pour ce qui est du congrès de Tournai, sans doute savez-vous que les hôpitaux cherchent toujours à se faire de la pub, et donc pour informer les professionnels de telle ou telle nouveauté, ils invitent tous les médecins généralistes des environs en leur promettant des points d’accréditation (d’où une certaine motivaiont pour tous à s’y rendre). Cette réunion n’était évidemment pas un congrès scientifique, c’était une petite réunion pour les généralistes de la région.

La clinique qui proposait ce « congrès », fait, bien sûr, du dépistage depuis 2003 et les orateurs étaient essentiellement des gens de l’équipe d’implantation du CHR de Lille, avec peut-être une idée de faire du recrutement transfrontalier ? Je vous dis au passage qu’il s’agissait d’une réunion accréditée en éthique ! Ce sont des points d’éthiques qui étaient distribués.

Sur le dépliant qui présentait cette soirée, il était écrit : « il existe de nos jours, un test qui, dès les premiers jours de vie, permet de diagnostiquer la surdité et rend donc possible une prise en charge rapide et efficace dont le but est de supprimer le handicap pour que l’enfant devienne un adulte autonome, parfaitmeent intégré dans le monde de la communication ».
C’est assez invraisemblable d’écrire des choses comme cela. Sur le même dépliant, c’est plus anecdotique, mais tout à fait révélateur, il y avait la représentation d’un bébé, tout mignon, avec à côté une note de musique.

Voilà ce qu’était le congrès de Tournai dont Madame la Ministre nous parle !
Cela m’a heurté de voir sur quoi se base sa politique !
Il s’agissait, non pas d’un congrès scientifique, mais bien d’un congrès promotionnel organisé par l’équipe d’ORL d’une clinique privée.

Je lui ai donc écrit un courrier dont voici sa réponse :
« J’ai effectivement un avis favorable sur l’implant cochléaire pour avoir vu la différence entre un enfant atteint de surdité et pris en charge de manière précoce et un enfant sourd dont la surdité était détectée plus tard. »

J’ose imaginer que la démonstration, dont elle parle, s’est résumée à montrer les progrès vocaux d’un enfant implanté (qui émet des sons plus intelligibles que le non implanté) par rapport à un autre Sourd.

En conclusion, pour la Ministre : dépistage signifie implantation cochléaire systématique et une prise en charge précoce de la surdité, qui, je pense, est intéressante, mais ne pourrait s’envisager sans implantation...

Si le dépistage néonatal consiste à attirer précocement l’attention des parents sur la surdité de leur enfant et l’intérêt de l’apprentissage de la Langue des Signes (à condition que l’Etat donne les moyens de le faire), il s’agit d’une autre logique que celle qui consiste à dire : on dépiste pour implanter.

Mais ce qu’appelle la Ministre, la filière de soins, c’est du dépistage à l’implantation cochléaire : la règle !

Ce qui me frappe dans ceci, ce n’est pas le dépistage ou encore l’implantation dans certains cas, mais bien la nécessité d’aller de l’un vers l’autre alors qu’aucune logique n’en découle !

Les Sourds sont-ils des anormaux à éliminer ?
Là, la Ministre répond en quelque sorte : oui, puisqu’il y a la filière de soin !
Le Docteur Chouart (un des premiers poseurs d’implants en France), sur son site internet, il y a quelques jours :
« La surdité ne devrait plus exister, on ne doit plus rencontrer le drame de l’enfant sourd-muet, la cruauté de cette surdité partielle, qui isole et peu à peu exclue le Sourd du monde de ceux qui entendent ».

Sur son site, on trouve aussi ce qu’il appelle la psychologie du Sourd, où il décrit le Sourd comme « un individu triste, isolé, malheureux ».

Voilà la triste logique médicale !

Rappelons qu’un implant cochléaire est une intrusion dans la boîte crânienne, c’est une opération chirurgicale pas anodine du tout !




LES PROBLEMES ETHIQUES


Quels sont les problèmes éthiques posés par l’implant cochléaire ?
En médecine, on considère comme éthique le fait d’enlever un problème à un patient, avec son accord, et à condition ne ne pas lui nuire. On peut « enlever » un mal à la gorge en donnant des antibiotiques, on peut « enlever » des maux de tête en donnant un médicament, on peut guérir une tumeur en l’enlevant... Dans tous les cas, le patient a identifié le problème et on le lui enlève.

Ches les Sourds, c’est autre chose ! Les Sourds (pré-linguaux) n’entendent pas, donc ils ne sont pas « en manque » d’audition.

Quand on parle d’enlever le mal, c’est une chose, mais si on parle d’apporter du bien, un plus, il faut réfléchir encore deux fois plus.
Un exemple : ce monsieur en France, qui avait perdu ses deux avant-bras et à qui on a greffé des nouveaux membres provenant d’un donneur mort. On lui a fait cette intervention, a priori, pour son bien. Il a pourtant demandé qu’on les lui ampute quelques mois plus tard. Cela pose de réels problèmes éthiques.

Comme pour les greffes de la peau sur la face de cette dame attaquée par un chien, fallait-il le faire ? Sans doute, et de nombreuses commissions d’éthique ont donné leur avis préalablement, des débats on été organisés. Sur ces cas là, les gens réagissent. Je me souviens d’articles de médecins scandalisés. Il y avait eu des débats, des discussions. En revanche pour l’implant : rien ! Pas de débat. Aucune réflexion éthique.

Quelques explications techniques.
La cochlée est tapissée de cils et ce sont les mouvements de ces cils qui sont transformés en impulsions électriques qui vont jusqu’au cerveau. A l’intérieur de la cochlée, on met une électrode artificielle et donc en la plaçant, on détruit tous ces cils. Pour les personnes qui ont des restes auditifs, cette électrode détruit tout !

D’un point de vue strictement médical, quand on implante, on détruit la cochlée... qu’en adviendra-t-il lorsque de nouveaux implants, avec système de couplage amplificateur, arriveront sur le marché et qui, eux, ne détruiront plus la cochlée ? Pour toutes ces personnes dont on a détruit l’audition résiduelle... qui risquent de devenir complètement dépendantes de cet appareillage pour capter ce qu’avant, peut-être, elles percevaient grâce à leurs restes auditifs.

A moyen terme, je suis convaincu qu’un conflit verra le jour entre généticiens et ORL puisque l’on développe des programmes de thérapie génique dans l’espoir d’arriver à faire repousser ces cils vibratiles à l’intérieur de la cochlée. Mais à partir du moment où on a mis une électrode dans la cochlée, plus de thérapie génique possible. Le jour où cette technique sera opérationnelle, les généticiens demanderont aux ORL de ne plus détruire ce qui leur permettrait d’appliquer leur découverte.

A l’inverse, vous aurez les sélections et destructions d’embryons sourds (l’eugénisme) ainsi que toutes les techniques de dépistage avant la naissance proposés par des généticiens qui diminueront le nombre de sujets sourds et donc diminuerton les « candidats potentiels » à l’implantation. Il y aura là un conflit d’intérêts.

Normalement, en médecine, pour un médicament, par exemple, on fait des teste sur un groupe placebo et sur un autre groupe. Pour ce qui nous occupe, le groupe placebo, c’est vous, les Sourds adultes, non implantés ? Et le groupe sur lequel on veut modifier quelque chose, c’est vous aussi (enfin les enfants sourds d’aujourd’hui, qui seront des adultes comme vous). Vous n’avez pourtant pas l’air si mal que cela dans votre peau. En fait, la médecine dit aujourd’hui que vous ne devriez pas exister. C’est assez violent, non ?

Pour le devenir des enfants sourds, cela pose également beaucoup de questions. Que deviennent ces enfants que l’on a implantés ? Qui sont dans le sonore en continu et que l’on a privé de Langue des Signes ? Dans dix ans leur implant sera dépassé, les plus performants auront des capteurs plus nombreux. Avec l’implant, c’est un son artificiel, s’il est plus performant, les sons seront différents. Faudra-t-il repasser par de l’orthophonie ? Faire de l’orthophonie à vie ?

Vraiment je me demande vers où l’on va ? Bien sûr je ne suis pas ORL, évidemment, mais je m’interroge. Quand je pose la question à des spécialistes, je n’ai pas de réponses.

Voyons les effets secondaires auxquels il faut s’attendre ?
Comme pour toute opération chirurgicale, il a les effets secondaires immédiats et ils sont complètements passés sous silence !

Je vois peu de Sourds implantés dans le cadre de mon travail, mais ceux qui viennent me consulter, c’est quand il y a un problème.

Notamment, chez des enfants qui ont de grosses infections sur l’implant avec, malheureusement, des séquelles. Et puis les complications plus tardives comme les méningites qui apparaissent quelques temps après la pose de l’implant, sans certitude de lien, il est vrai, mais rappelons que l’implant est un corps étranger et peut, de ce fait, favoriser les infections, comme tout corps étranger implanté dans le corps.

Imaginez si l’on doit ré-intervenir sur des implants déjà posés ? Le traumatisme que cela infligera de retravailler dans une si petite région. Et le risque pour les microbes d’entrer. Evidemment, le premier implant est toujours moins risqué que le second ou le troisième. Et on sait qu’il faudra ré-intervenir, car il est impossible qu’un dispositif électronique implanté dans un milieu vivant reste fonctionnel pendant 80 ans.

Les risques psychologiques à long terme ne sont pas évalués non plus. Pour les enfants implantés aujourd’hui (je ne parle pas de ceux qui ont la chance de connaître la Langue des Signes) comment se sentiront-ils à l’adolescence ? Et à l’âge adulte ? Ils sauront qu’ils ne sont pas comme les autres. Ils découvriront, tôt ou tard, qu’ils sont Sourds ? Et à ce moment là, ils voudront rencontrer d’autres Sourds, qui partiqueront la Langue des Signes alors qu’eux en ont été privés. Ils éprouveront de grandes difficultés à entrer en communication avec cette communauté.

Voilà encore des questions auxquelles nous n’avons pas de réponses.
La Langue des Signes est la langue du lien social, la grande majorité des Sourds qui, ici, ont eu une éducation oraliste, qui sont allés en intégration avec les Entendants, à l’âge adulte se tournent vers les Sourds parce que c’est avec eux, parmi eux, qu’ils se sentent bien ! Et ces enfants que l’on a privé de tout cela ? Que deviendront-ils ?

Un autre phénomène à épingler, c’est celui de « l’implant dans le tiroir » !
A Lille, parmi les 8 Sourds adultes implantés dont nous avons connaissance, 6 laissent leur implant dans le tiroir !

En fait, nous sommes ici face à une vision particulière de la normalité, qui édicte qu’un être normal est un individu entendant. Un Sourd est un anormal.

La vision sociale qui voit la surdité comme une différence culturelle ou la vision médicale qui la voit comme une anomalie, sont toutes deux logiques et cohérentes, elles sont le reflet d’un choix de société.

Un enfant peut, soit maîtriser son implant, soit en être dépendant. Dans les centres d’implantation on préconise de ne « jamais enlever son implant », il faut surtout s’habituer, que l’implant fasse partie de lui-même ! Du coup lenfant devient complètement dépendant et est surtout complètement perdu quand il en est coupé (pertes d’équilibre, trouble de la spatio-situation) parce qu’il a été conditionné à en devenir dépendant !

On pourrait en revanche apprendre à l’enfant à maîtriser son implant, par exemple, s’il est dans un environnement avec des Sourds et de la Langue des Signes, il n’a pas besoin de son, il coupe son implant ou au contraire si il est en famille, avec seulement des Entendants, à ce moment là, il le branche. Ce serait permettre une autonomie avec ou sans l’implant. Sinon on le rend dépendant d’un machine avec des piles qui peut à tout moment tomber en panne.

A toutes ces questions (et il y en a beaucoup d’autres mais j’ai fait court ici !) que répond-on ?
Des sociologues, des psychologues, des psychiatres, des philosophes, des médecins et surtout des linguistes (les seuls spécialistes de la langues qui, justement ne sont jamais consultés), montrent de façon pertinente en quoi cette logique est aberrante. Etonnement, les inquiétudes de ces gens-là n’arrivent pas aux oreilles des médecins. A eux, ça ne pose pas question !

Les sourds n’existeront-ils plus ?
Dans la spirale infernale, je place aussi l’intégration scolaire. Rappelons ce qu’est l’intégration scolaire ? Le principe consiste à placer un enfant sourd dans un classe d’entendants. Pour moi c’est de la désintégration ! C’est apprendre à un enfant à devenir un « anormal » qui s’ignore. Il finit par ressembler aux Entendants.

Voici en exemple une conséquence de cette logique-là :
Beaucoup de Sourds adultes rencontrés dans le cadre de mon travail, quand je leur demande s’ils ont compris, ils disent souvent oui ! Et pourtant, si je leur demande de reformuler (chose que je préconise aux médecins à qui je fais des exposés), je m’aperçois que ce n’est pas le cas ! Pourtant ces personnes sont sincères ! Elles n’ont pas conscience qu’elles n’ont pas compris. Elles ont été tellement conditionnées à ne rien comprendre que quand elles répondent qu’elles ont compris, c’est parce qu’elles ont compris comme d’habitude ! C’est ça l’aberration de l’intégration : la norme c’est la non compréhension !
On entend dire : « Les Sourds ont disparus, ils font de la musique » !
C’est parce qu’avec l’implant cochléaire vous voyez à présent des Sourds faire de la musique, comme par exemple, cette jeune fille sourde que l’on voit un violon à la main !

La maman de cette jeune fille est très fière et dit : « Elle peut comprendre des phrases prononcées à la TV, il lui arrive aussi de comprendre quand on parle d’elle dans un conversation voisine ! Oh bien sûr, pas tout mais elle arrive à s’intéresser à ce qui se dit dans une conversation ». Avec cette photo, on veut illustrer la réussite de l’implant. C’est en réalité un déni complet de la surdité !

La spirale infernale continue puisqu’on a inventé le diagnostic prénatal et le diagnostic pré-implantatoire...
Qu’est-ce que le diagnostic préimplantatoire ? Dans le cadre d’une fécondation in vitro, il s’agit de diagnostiquer, avant de réimplanter l’embryon, s’il n’a pas d’anomalie génétique (comme la surdité puisqu’une partie importante de la surdité est d’origine génétique). On peut ainsi « éliminer » l’embryon sourd... ou au contraire éliminer l’embryon entendant et implanter le sourd ! Cela s’est passé aux Etats-Unis, un couple de Sourds voulait « éliminer » l’embryon entendant. Là, les médecins trouvent cela très choquant !

Le diagnostic prénatal consiste, lui, à dépister une anomalie (notamment génétique) avant la naissance. Pour y parvenir, on fait une ponction dans le ventre de la maman, on analyse pour vérifier si le foetus est porteur ou pas de l’anomalie et selon le cas, on continue ou on arrête la grossesse. C’est ce que l’on appelle « l’eugénisme privé de sélection ».

Les membres du comité d’éthique jugent « recevable (cf. avis n°33 du 7/11/2005 du Comité Consultatif de Bioéthique) cette pratique liée aux techniques de dépistage prénatal et préimplantatoire, moyennant l’application de certaines normes ayant trait à la gravité de la maladie ou anomalie et considéré au consentement éclairé des parents ou de la mère et à l’encadrement adéquat en matière de conseil et de suivi. »

Il faut donc pour faire cela qu’un couple détermine à l’intérieur de sa famille, dans l’espace strictement privé, ce qu’il veut. Il faut évidemment qu’il s’agisse d’une maladie grave mais puisque l’on a déjà décrété que la surdité est une maladie grave... (cfr. Dépistage néonatal autorisé).

J’avais concrètement posé la question à un président de comité d’éthique d’un gros hôpital bruxellois qui m’avait répondu que « si c’était de l’eugénisme privé de sélection, cela pouvait se discuter, que ce n’était pas totalement exclu ! »

Autrement dit, un couple de parents ayant déjà un enfant sourd et « risquant » et ayant, par exemple une possibilité de 1 sur 4 d’avoir encore un enfant sourd, pourrait choisir lequel et l’éliminer ! Je ne dis pas que cela se fait maintenant, mais puisque d’un point de vue éthique rien ne semble s’y opposer, il ne faut pas s’étonner qu’on en arrive là assez rapidement.
Le Comité Consultatif de Bioéthique dit encore : « La réflexion éthique que pose cette technique sera développée dans un avis distinct. » Ce qui signifie que le comité d’éthique va encore se pencher sur la question. Il faudrait alors que, d’ici là, les Sourds se fassent entendre pour dire que cela pose des questions.

En plus, quand on nous dit : « consentement éclairé des parents... » Au niveau de l’information faite aux parents d’enfants sourds, elle se fait exclusivement par des centres d’implantation et de phonologie, donc ne parlons pas de « consentement éclairé ». Ce n’est ni plus ni moins de la manipulation. Il faudrait une information objective pour que l’on puisse parler de « consentement éclairé ».



LE CHANGEMENT DES MENTALITES

De manière très schématique : de 1880 à 1980 : 100 ans d’interdiction de Langue des Signes... et pourtant, la Langue des Signes a survécu.

De 1976 (date du premier décret en France) à 2006 : 30 ans d’essor de la Langue des Signes, avec reconnaissance de cette langue, des travaux linguistiques de plus en plus nombreux...
Les Langues des Signes deviennent objet d’étude (avec, notamment, l’ouverture des pôles d’accueil en Langue des Signes française qui a donné une crédibilité institutionnelle, dans de grands hôpitaux, à des équipes avec des Sourds) et les mentalités changent peu à peu.

On peut dire avec les pôles d’accueil, on sait ce que sont les Sourds adultes, ce qu’ils deviennent. On les voit, on les connaît, au contraire des ORL qui eux ne rencontrent pas de Sourds adultes. Cela permet de changer les mentalités des médecins qui côtoient des professionnels sourds et qui peuvent apprécier leurs compétences.

Il y a aussi des cours de Promotion Sociale en Belgique, la reconnaissance du métier d’interprète (même si je sais qu’ici, en Belgique, ce n’est pas très abouti). Il y a des projets d’enseignement bilingue, il y a donc, au regard de tout cela, une meilleure visibilité des Sourds et de la Langue des Signes.

Il faut aussi mettre en parallèle 30 années de progrès médicaux considérables (avec l’implant et la génétique).

Que va-t-il se passer après 2006 ?
Une promotion intellectuelle des Langues des Signes, des chercheurs s’y intéressant et dans le même temps une éradication médicale de la population qui utilise cette langue ?
La Langue des Signes suivra-t-elle ou deviendra-t-elle une Langue morte, comme le latin, que l’on étudie encore mais que l’on n’utilise plus ?

Conclusion.
Pour ne pas être broyé par la machine médicale, il faut mettre des cales partout dans l’engrenage. Il faut arriver à faire réfléchir les gens, interpeller les comités d’éthique sur le dépistage néonatal, leur poser des questions pertinentes et leur demander d’y réfléchir.
En France, par exemple, c’est ce que l’on essaie de faire. Nous allons ré-interpeller l’opinion sur l’implant cochléaire dans les mois à venir, car en effet, il y a de plus en plus de témoignages de Sourds mécontents puisque c’est tout un vécu qu’il a autour de ça et ce n’est pas simple.

Personnellement, je ne suis pas opposé aux implants mais je dis seulement qu’il y a des questions éthiques qui se posent et auxquelles on ne répond pas !

Comment mettre des cales dans l’engrenage ?
En informant, en sensibilisant tout le monde mais plus particulièrement les médecins et étudiants en médecine. Ce sont eux les premiers à sensibliser, puisque les politiques ne font que répéter ce que disent les médecins ! Il faut aussi qu’une voix émerge de la Communauté des Sourds, pour qu’ils se fassent entendre auprès des médecins. Par exemple, à l’Université où je travaille, nous organisons des journées de sensiblisation pour les étudiants en médecine (deux journées d’exposés théoriques et deux journées de rencontre avec des Sourds).

Il faut réagir aussi aux divagations des politiques qui répètent le discours médical et qui, en plus, lui donne une transcription législative. Il faut réagir mais avec pertinence, au bon endroit. Il est très important, aussi, de faire connaître et diffuser les Langues des Signes. Au plus les gens connaîtront un peu de Langue des Signes, au plus ils sauront que ça existe, au plus il y aura une imprégnation diffuse de ce qu’est un Sourd et cela se rependra dans la société.

Voilà l’importance des cours de Promotion Sociale. Beaucoup de gens suivent des cours sans s’investir dans le monde des Sourds par après. Mais, d’avoir eu des cours de Langue des Signes, quelques heures, quelques temps, ces gens ne regarderont plus les Sourds de la même façon. Et cela contribue aussi à changer la manière d’appréhender la surdité.

Promouvoir et faire connaître les compétences des Sourds (dans certains types de pathologies, ce sont les professionnels sourds qui permettent d’améliorer la santé des patients, je pense par exemple au diabète). Ces professionnels sourds qui travaillent dans les hôpitaux, améliorent la qualité des soins. Belle revanche pour des handicapés qu’on voudrait éliminer. Les compétences pédagogiques des Sourds sont remarquables. Ils parviennent à rendre un message compliqué de manière claire et visuelle. Dans le domaine informatique aussi, ils ont de nombreuses compétences.

Pour mettre des cales dans l’engrenage, il faut continuer à développer les recherches linguistiques, interpeller les comités d’éthique, les philosophes. Favoriser les rencontres entre Sourds et Décideurs au sens large.

Par exemple, on voudrait ouvrir une maison de retraite pour personnes sourdes âgées, avec du peronnel adapté. Face aux objections des hautes instances, nous avons organisé une visite d’une structure de ce type existant à Ede aux Pays-Bas. Une cinquantaine de personnes sourdes de Lille et de décideurs institutionnels ont passé une journée ensemble. Ceux-ci, qui n’avaient jamais rencontré de Sourds, ont passé une journée complète avec les Sourds et ont pu réaliser, ainsi, que les Sourds existaient. A la fin de la journée, ces décideurs ne posaient plus les questions stupides du début. Ils avaient vécu de l’intérieur, avec leurs tripes, ce que c’est que le monde des Sourds. Ce qui avait changé, c’est qu’ils avaient rencontré des personnes, et plus des déficients. Leur regard, leur vision, leur compréhension intime de la surdité avait radicalement changé.

Si les Sourds ne pouvaient communiquer que par mimes, pictogrammes ou autres, ils seraient menacés. Mais au contraire, ils sont à l’origine d’une des plus fabuleuses créations du génie humain : les Langues des Signes. Des langues qui sont aussi riches que les langues orales. La médecine ne peut rien contre cette force irrépressible qu’à l’humain d’entrer en communication avec ses semblables et à tisser le lien social. L’homme a toujours tenté de vaincre le totalitarisme. Je suis convaincu que les Sourds vaincront la pensée médicale totalitaire qui voudrait les supprimer. Il vous suffit de créer des remous dans la société pour que le fait que vous soyez une communauté qui existe apparaisse comme une évidence.

Pour finir, Victor Hugo écrivait aux Sourds : « La nature, en vous retranchant l’ouïe, vous a presque toujours doublé d’intelligence ».
Je suis assez d’accord avec ça ! En écoutant les témoignages de la vie des Sourds et ceux d’Yvette Thoua et Nicolas Rettmann juste avant, je me dis qu’avec le système oraliste dont vous avez subi la loi, si malgré ça vous êtes parvenus à devenir des adultes équilibrés, c’est qu’il y a peut-être un gêne d’intelligence particulier à ceux de la surdité, qui vous a finalement permis, malgré le parcours de galère qui a été le vôtre, de devenir finalement des humains comme les autres ! Merci !

(Applaudissements)




Martine Fraiture

Bravo au Docteur Drion qui a longuement parlé et qui a raison dans tout ce qu’il a dit !
D’attirer notre attention sur le caractère grave de ce qui se passe et de nous proposer des pistes de réflexion et d’action.
Merci de nous avoir informés et de confirmer que les « autres » devraient être mieux informés sur ce que sont les Sourds et que nous ne sommes pas malades, que nous sommes comme les autres.
Il est temps de réagir, vraiment ! Merci Docteur Drion !
Merci aussi à chacun des conférenciers public !
Retenons l’importance d’être solidaire et que cacun fasse un pas vers l’autre pour collaborer ensemble.
Merci !



Dominique Gretser

Je voudrais encore votre attention s’il vous plaît !
J’ai été extrêmement touché par les conférences de ce soir.
Je suis issu d’une famille de Sourds depuis des générations ; J’ai grandi dans le monde des Sourds.
J’ai fait partie de plusieurs associations et maintenant je suis président d’une association sportive... Et je n’étais pourtant au courant de rien !
Tout ce que j’ai appris ce soir m’a beaucoup ému !
Que se passe-t-il depuis plus d’un an ? Et nous n’avons pas réagi, nous ne nous sommes pas battus.
Les Sourds ne font-ils rien ? Vont-ils continuer à laisser faire ?
Je vous en prie, il faut réagir, c’est urgent !
Il y a un an, j’ai assisté à un débat politique, je n’ai pas compris ce qui se passait, ce qui se jouait. Il y avait beaucoup de tensions, d’énervement et des choses m’ont manifestement échappées.
Mais maintenant j’ai compris, alors je vous le demande : il faut réagir s’il vous plaît !
J’ai toujours lutté pour atteindre mes objectifs et lutter pour de bonnes causes. Je ne suis pas du genre à « caresser dans le sens du poil » et je suis prêt à me battre...
Dans l’usine où je travaille, ce n’est pas facile tous les jours car je suis sourd profond et dans mon activité d’indépendant complémentaire, comme chef d’entreprise, je suis amené à engager des ouvriers entendants et sourds. J’en suis capable au même titre qu’un entendant.
Alors qu’en j’apprends ce qui se passe et que personne ne m’a prévenu, j’enrage. Moi j’aurais remué ciel et terre pour qu’on nous entende ! J’aurais tout mis en oeuvre pour réagir à cela.
Cela me fait un choc et j’ose espérer qu’à l’avenir nous allons nous unir pour nous battre !
J’espère que les protagonistes de ce soir voudront bien me contacter, car je connais beaucoup de monde et je pourrais le mobiliser pour défendre notre cause !
Je voudrais aussi interpeller la FFSB qui pendant un an ne nous a pas informé, qui ne s’est pas positionné pour nous faire entendre ! Rien n’a été fait.
Maintenant, nous sommes quelques mois plus tard ! Que pouvons-nous faire ?



Patrick Dupont

Je suis tout à fait d’accord avec Monsieur Gretser. Moi aussi, je m’étais battu seul, sans les Entendants, et des choses importantes m’échappaient, je perdais la face. Maintenant, je me rends aux débats accompagné d’interprètes et avec l’équipe du Docteur Drion, nous nous battons ensemble pour revendiquer nos droits et ainsi réagir plus rapidement.



Pierre Dewit

Merci pour vos témoignages, merci à tous d’être venus si nombreux et à bientôt j’espère.
Bonne soirée !!!

(Applaudissement)

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